Auteur : Philippe Collas

Codéveloppement : un zeste de fantaisie !

C’est bien connu, le groupe de codéveloppement professionnel s’appuie sur une méthode en 6 étapes, rodée et dont l’efficacité est soulignée par les participants en fin de cycle. Ceci n’empêche pas que, lors de son apprentissage, des reproches émergent dont celui d’une trop grande rigidité dû à son caractère systématique, sa progressivité sans retour en arrière et son sérieux. Or, il est possible d’introduire un soupçon de fantaisie dans la dynamique de groupe, par l’humour, le décalage, les recadrages de sens, les métaphores, etc. Plus spécifiquement l’étape 4 dite de consultation demande un zeste de fantaisie. Rappelons que l’étape 4 dite aussi de consultation est celle qui permet aux consultants de partager avec le client «… leurs réactions, commentaires, suggestions… » (selon les concepteurs de la méthode). Si l’on va plus loin ils proposent aux consultants d’apporter « leurs impressions, réactions émotives, perceptions, connotées d’évaluation et d’interprétation, les diverses associations que suscitent le sujet, leurs suggestions pratiques, leurs conseils…leurs propres diagnostics…des références à des personnes, des méthodes, des outils ou des textes ». Le champ des apports est large, et leur nature variée. Le rationnel, l’émotif et l’imaginatif coexistent. C’est un point fort du codéveloppement : la diversité des points de vue. Dans la forme, cette étape est comparable à un brainstorming ou remue-méninge en bon français. Les règles de cette technique de créativité s’appliquent donc très spontanément. Le remue-méninge s’appuie sur la dynamique de groupe et l’association d’idées. La dynamique de groupe est le propre du codéveloppement, elle est confortée par le respect de règles. Dans cette étape 4 les règles se mémorisent facilement grâce à l’acronyme C.Q.F.D. C rappelle que la critique est proscrite, nous sommes là pour nourrir le client par la créativité des consultants et la diversité des points de vue. Q car la quantité prime, plus les apports sont nombreux, plus la solution sera adaptée et originale. F renvoie à fantaisie et nous allons développer ce point. Le D est le pendant du C. Si on s’interdit toute critique, on ne se prive pas de démultiplier en rebondissant sur les apports des autres consultants. Mais pourquoi faire preuve de fantaisie ? On peut légitimement se le demander. La fantaisie est nécessaire à l’association d’idées. Cette dernière est définie ainsi dans le site psychologies.com : « tendance des mots et des idées à se réunir dans la conscience sans intervention de la volonté en fonction de rapports repérables passifs (contigüité, ressemblance, contraste) ou inconscients dynamiques ». Retenons que le processus se situe dans la conscience, que la volonté de faire est momentanément absente, elle reviendra dans l’étape 5 dite des solutions/plan d’actions. Conscient le client tout ce qui est proposé, s’abstient de tout commentaire et laisse son esprit agir librement. La définition ci-dessus mentionne aussi des rapports inconscients dynamiques et c’est là que la fantaisie entre en jeu. Mais qu’entend-on par fantaisie ? Le mot est chargé de tellement de sens qu’il est bon de sérier ceux qui nous intéressent. Le site USITO de l’Université de Sherbrooke recense six significations du mot fantaisie. Trois ne nous concernent pas comme la tendance à agir à sa guise (on agit pour le bien du client et du groupe), un désir passager, bizarre et capricieux (on reste empathique envers le client et respectueux), qualité d’objets originaux sans valeur réelle ou utilité (on cherche à aider le client). Trois nous intéressent : 1) l’imagination créative libre de contraintes, 2) l’originalité amusante et imaginative dans le comportement et 3) œuvre d’imagination qui ne tient pas compte des règles du genre. Les trois définitions partagent l’idée de s’affranchir des contraintes. Ceci peut sembler incohérent alors qu’on rappelait plus haut le besoin de partager des règles. La nécessité de sortir de la boîte logique est la réponse à cette apparente incohérence. Les travaux de chercheurs et la pratique managériale nous ont appris que pour résoudre certains problèmes il fallait sortir de la boîte logique et parfois dès le début et parfois plusieurs fois. L’illustration plus haut nous le démontre. Pour la clarté du texte, rappelons que le problème posé consiste à relier les 9 points du carré imaginaire par 4 lignes continues sans jamais lever son crayon. Métaphoriquement, c’est la fantaisie d’un apport qui permettra de sortir de la boite logique tout en gardant de la cohérence et en intégrant les 9 points dans la solution (les 9 points symbolisant les apports de type rationnel). Il ne faut donc pas se priver des apports fantaisistes, leurs bénéfices sont multiples. Ils aident le client maintenant ou plus tard à sortir de sa boite logique. Mais ils aident aussi les consultants qui auront dans l’étape suivante à réfléchir sur la solution si eux-mêmes se trouvaient dans la situation un jour prochain. Dans la dynamique de groupe ils amènent des bulles d’air, des images (c’est le sens du terme grec « phantasia »), ces images sont parfois utiles pour assurer la démultiplication et donc alimenter et satisfaire le principe de quantité (rappelons-nous du CQFD). Prenons garde toutefois à bien définir au préalable ce qu’on entend par apport fantaisiste et que l’apport est lié de près ou de loin  au  contrat de consultation proposé au groupe. Par exemple sont liés au contrat : fredonner « je ne suis pas un héros » pour un contrat sur l’obligation de perfection qu’on s’impose ; « père Noêl ou père Fouettard » pour décoder les rapports avec un N+. La fantaisie ne fait pas fi des apports rationnels, elle permet parfois de les catalyser ou de donner une saveur particulière à son plan d’actions. C’est un ingrédient qui prend sa place dans la recette de l’étape 4…mais ce n’est pas une recette miracle ! Philippe Collas, le 13 décembre 2023. Un petit plus….fantaisiste sans plus : « au fur et à mesure des idées s’enchaînent, des souvenirs reviennent à la conscience, des digressions en apparence hors sujet émergent, le participant se laisse aller à divaguer jusqu’à ce qu’il retrouve le fil de son idée initiale » citation de Jean-Claude Andréani, ancien professeur de marketing à l’ESCP

Codev : une abréviation trompeuse.

« Codev » est passé dans le langage courant dans le domaine du développement des personnes. Certains diront qu’on use et abuse de ce raccourci. Les abréviations sont utiles pour nous simplifier la vie. Elles économisent les mots tout en appauvrissant aussi le sens qu’on leur donne. Parfois c’est sans importance, parfois non. D’ailleurs le logiciel de traitement de texte le souligne en rouge, signe de faute d’usage. « Codev » minimise la cohérence de l’approche voulue par les concepteurs Adrien Payette et Claude Champagne. Leur ouvrage de référence s’intitule : le groupe de codéveloppement professionnel. Le titre capture en trois mots le sens de cette approche de formation : le collectif d’un groupe, le codéveloppement renvoyant à l’apprentissage par la coopération et le cadre professionnel. Leur définition nous en apprend plus « …une approche de formation qui mise sur le groupe et sur les interactions entre les participants pour favoriser l’atteinte de l’objectif fondamental : améliorer la pratique professionnelle. »[1]. Nous sommes bien dans le domaine de la formation et pas face à une méthode de résolution de problème. C’est une approche donc une manière de former avec un point de vue particulier et une méthode spécifique. Le point de vue consiste à miser sur le développement des compétences au travers et grâce aux membres du groupe. La méthode est le traitement d’une situation en six étapes, dont une spécifiquement dédiée aux apprentissages au sens large (pas uniquement sur la situation), on y apprend à apprendre. Le groupe de codéveloppement est d’une nature particulière, il regroupe des volontaires, des personnes prêtes à partager pour améliorer leur pratique par l’échange entre pairs. Un groupe ne prend son sens que dans la durée et la régularité des échanges, sinon nous sommes faces à un rassemblement. En clair, faire du « codév » dans une rencontre professionnelle pendant une heure ou deux, ce n’est pas faire l’expérience du groupe de codéveloppement professionnel. Les interactions s’inscrivent dans une dynamique coopérative. Les participants acceptent d’aider les autres et d’être aidé par les autres. Ils s’ajustent dans leurs échanges et alternant altruisme et modestie. Les participants traitent une situation professionnelle, cas pratique et réel. Ce cas est soumis par un membre du groupe : le client, les autres sont des consultants. Les rôles alternent durant la vie du groupe. Comme dans tout groupe, la régulation est assurée et par le partage de règles de fonctionnement (engagement, coopération, respect et confidentialité) et par l’animation d’un facilitateur. L’amélioration de la pratique professionnelle est l’objectif d’apprentissage central. Ce point nous semble très souvent oublié, or c’est le but ultime du groupe de codéveloppement professionnel. Il ne prend forme que dans le cadre d’une étape 6 dite des apprentissages structurée, suffisamment longue et qui n’est pas sacrifiée sur l’autel de la gestion du temps. Prenons l’habitude de parler de groupe de codéveloppement professionnel et laissons codév dans l’armoire des mots valises ! [1] A. Payette et Cl. Champagne, Le groupe de codéveloppement professionnel, PUQ, 2010, page 7. Philippe Collas, le 19 décembre 2022.