Distanciel, j’écris ton nom !

Le 17 mars 2020, nous tombe dessus comme une nuée de sauterelles sur un champ de blé tendre, des milliards de petits virus verts à couronne de ventouses. Ok, le virus était déjà là mais ce jour précis, on a su officiellement que le nuage viral avait traversé la frontière sans prévenir. Un peu effrayés, faut bien le dire, un peu obligés aussi, on s’est tous claquemurés où on pouvait. Et pour nous autres des métiers de l’intelligence collective, au contact permanent des équipes et de la dynamique collective, est apparu dans notre jargon un nouveau mot, mot un peu mystérieux que nous prononcions comme un mantra, une planche de salut, qui évoquait des choses mal connues, des pratiques incertaines, et dont surtout nous ne savions pas s’il prenait un c ou un t : « distanciel ».

Ça, c’était au début. Alors que le méchant virus vert à couronne de ventouses semblait se plaire chez nous (et ailleurs aussi), on a appris à orthographier le mot, on a su l’opposer joliment au regretté et peut-être, pensions-nous, désespérés que nous étions, perdu à jamais « présentiel » (avec un t, celui-là, car s’il est bien une chose que le méchant virus ne pourra pas nous enlever, c’est la fantaisie de l’orthographe française). On a su l’intégrer à nos pratiques, à l’inscrire dans nos propositions d’animation, qu’à cela ne tienne, nous savons développer les dynamiques collectives en présentiel comme en distanciel. Bref, et c’est finalement heureux, comme pour le virus, dans le monde d’après, nous avons su vivre avec.

Pourtant, il est une chose qui est restée du monde d’avant (avec notre belle orthographe fantasque), bien ancrée dans nos croyances, celles des praticiens de l’intelligence collective comme celles des équipes elles-mêmes, celles des collectifs jeunes & dynamiques, celles des commanditaires, des clients, des managers de tous poils, des chefs de projet, des participants, des colleurs de post-its, des pilotes de speed-boat et autres joueurs (très) sérieux : le distanciel, c’est ok pour ne pas rester à rien faire, mais, franchement, de vous à moi, c’est pas la même chose que le présentiel, c’est quand même moins bien.

Vraiment ?…

Après des mois de pratique, des centaines d’heures en visio, facilitations, formations, animations en tous genres, sur tous les outils de la Terre, toutes les plateformes collaboratives, avec toutes les galères techniques possibles et imaginables, des micros fermés aux coupures réseau juste pile au moment où il faut pas, en passant par les mains-libres qui crachotent, les pertes d’identifiant, le pseudo du petit neveu qui reste visible dans la mosaïque pendant une visio avec le Client (mais qui a permis au petit neveu d’utiliser mon PC professionnel pendant mon absence ?) — après tout ce chemin parcouru à marche forcée, malgré les découragements de ne jamais pouvoir penser à tout, malgré le stress occasionné par cette découverte permanente d’un environnement jamais complètement sûr, malgré le sentiment parfois d’y perdre la raison sinon son âme, je crois bien pouvoir déclarer solennellement aujourd’hui : j’aime animer en distanciel.

Plutôt que de vous parler des avantages du présentiel par rapport au distanciel, avantages au fond qu’on connaît par cœur, plutôt que de vous donner les nièmes trucs & astuces pour faire en sorte qu’une animation en distanciel se passe bien, je vous propose ci-après de vous partager les 9 particularités de cette forme d’animation qui font que j’ai plaisir à allumer mon PC le matin pour retrouver un groupe et en stimuler la dynamique à distance, que j’aime véritablement ça !

Bien sûr, ces propositions sont le reflet de mon ressenti et de ce que j’ai pu expérimenter. N’hésitez pas à partager votre vision de l’animation en distanciel dans les commentaires !

(Merci à Karine Soulebot pour nos échanges confinés qui ont nourri ces réflexions.)

Atout 1 : Le distanciel abolit la distance

Ok, atout archi classique, un vrai lieu commun ! Pourtant, quelle merveille que cet atout ! Les participants sont disponibles sans avoir eu à se déplacer physiquement (ou si peu) pour venir à l’atelier. Sans parler du facilitateur ! Quand on est facilitateur et casanier (comme moi), quel plaisir de ne pas se lever à point d’heure, de ne pas avoir à avaler des (mauvais) cafés aux guichets (départ & arrivée) de la gare et au bar du TGV, et d’arriver sur les lieux de la prestation, frais et dispo, concentré pour le groupe. Quel plaisir et quel gain pour le groupe !

Atout 2 : Le cadre de l’écran, c’est le cadre du processus

Ça n’a l’air de rien, mais comme tous les échanges à distance passent par l’écran (et le son) de l’ordinateur, cette particularité modélise on ne peut mieux l’un des principes fondamentaux de la facilitation et l’accompagnement de la dynamique de groupe : le facilitateur est garant du processus, il est celui qui en pose les bases, il est celui qui cadre la manière dont les conversations vont être menées au sein du groupe. Il ne s’agit pas ici de couper les micros de celui ou celle qui parle trop longtemps (quoi que…), mais de souligner le fait que le cadre technique, en cela qu’il concentre les échanges du groupe sur des canaux bien définis, facilite en lui seul l’adoption du cadre de la facilitation pour le groupe.

Atout 3 : L’accélérateur de lien

J’aime la mosaïque des visages des outils de visio ! J’aime scruter les visages, observer les sourires, les baisses d’attention, les interrogations. J’aime anticiper les prises de parole, être attentifs aux gestes qui disent mille choses et sont souvent les prémices d’un partage avec le groupe. J’aime voir tout le monde en même temps, et me dire que tout le monde voit tout le monde de la même façon. La mosaïque me connecte au groupe et à chacun dans le groupe comme aucune autre manière ne le permet. Elle réunit. Elle relie.

Atout 4 : Dans le cocon douillet du numérique

Le distanciel, c’est bien sûr la distance entre les personnes réunies autour d’un pont en visio. Mais c’est aussi la distance qui existe entre chaque participant et l’outil de visio lui-même, la distance entre mes yeux & mes oreilles et mon PC. Cette distance est essentielle car elle est modulable. Je m’approche de l’écran (de la caméra) pour qu’on me voit mieux, je m’en éloigne pour me mettre en retrait. Comme participant, je peux même couper la caméra au besoin. Cette souplesse me permet d’ajuster mes interactions avec le groupe et d’y prendre place comme je le souhaite. Elle donne confiance en soi et permet de lever des freins personnels à la prise de parole.

Atout 5 : Une conception archi-modulaire

La plus grande invention du XXIe siècle ? Les salles de petits groupes en visio ! Vous animez une session avec 40 personnes ? Un clic sur sessions scindées, 20 salles, répartition aléatoire, et attention, c’est le saut dans l’hyperespace pour des échanges en binômes pendant 5 minutes ! Alors, c’était comment ? Ah oui, trop court. C’est toujours trop court, on dit toujours ça. On y retourne à 4, en variant les interlocuteurs ? Clic, clic. Tels des voyageurs dans l’espace-temps, chacun part et revient riche de ces échanges en petits groupes, qu’il peut partager en plénière. Et c’est reparti pour un tour ! Vers l’infini…

Atout 6 : Une dynamique sans inertie

Si le distanciel permet de varier à l’infini la taille des groupes et impulser une forte dynamique à l’ensemble du groupe, cette dynamique est sans inertie : le groupe part, revient, on partage, on repart, sans déplacement dans une salle, sans transport de chaises, sans hésitation (merci l’affectation automatique !) Le distanciel autorise l’enchaînement de séquences courtes, itératives, qui favorisent l’ancrage des apprentissages et des prises de conscience.

Atout 7 : Un support à portée de clic

Sérieux ? Vous imprimez encore votre déroulé détaillé ? Et les supports de formation ? Et si en formation, un participant vous pose une question technique, vous sortez votre Encyclopédie Universalis ? Ce qui est sûr, c’est que le distanciel sauvera la forêt d’Amazonie ! Votre PC est devenu votre meilleur ami. Visio, outils, documents, supports, idées, tout est là, sous vos yeux, sous vos doigts sur le clavier, à portée de clic, c’est presque trop facile. On pourrait imprimer le déroulé et les FAQ, histoire d’avoir quelque chose à faire quand même en distanciel. — Nooooon !

Atout 8 : Animation 2.0

Les post-it, c’est bien, ça oui. Mais les post-it virtuels, oh là là là, c’est tellement mieux ! Taille, couleur, positionnement, colle qui colle, colle qui se décolle, feutre inépuisable ! Et les petits cœurs pour voter pour les meilleures idées ! Et le « board » qu’on peut concevoir comme un parcours, un voyage sur plusieurs journées, et que le groupe vient peupler de post-its colorés ! Et les formes, les icônes, les vignettes, les photos qui peuvent enrichir les résultats du collectif ! Et les documents partagés, que le groupe édite à plusieurs ! Le distanciel, c’est l’Animation 2.0, messieurs-dames, rien de moins !

Atout 9 : Le smartphone de l’animation

Le distanciel est au présentiel, ce que le smartphone est au téléphone. Songez un peu ! Le distanciel, c’est la réunion d’un outil d’animation de l’intelligence collective et d’un outil de capture des récoltes à l’issue d’un atelier par simple pression de la touche « imp. écr. ». C’est un téléphone (conversations de qualité) et un appareil photo (capture de l’image finale). C’est un smartphone. CQFD. D’ailleurs, vous souvenez-vous du magnifique board avec les 524 post-it colorés (assortis de dizaines de cœurs), fruit de 2 jours d’un voyage en intelligence collective ? Qui préfère la recopie des post-it le soir après 2 jours de travail à un simple export CSV de la production ? Pas moi !

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Rédigé par Luc De Bois
Après 25 ans d’expérience dans l’innovation et l’industrie informatique & télécom, ayant occupé des postes de management et de direction opérationnelle dans des grandes structures (notamment DSI chez Orange), j’ai souhaité mettre mes compétences au service des collectifs et de leur développement. J’ai construit une approche de l’intelligence collective qui place le jeu au cœur de sa pratique.