La facilitation… 2 ou 3 choses que je sais d’elle

La solitude n’est pas l’isolement. On est toujours deux en un. Il y a les autres en soi.
— Jean-Luc Godard, entretien avec Pierre Assouline (mai 1997)

Une définition

Roger Schwarz, psychologue du travail et des organisations, est l’auteur de deux livres de référence : Smart Leaders, Smarter Teams et The Skilled Facilitator. Dans ce dernier, publié en 1994, il donne cette définition de la facilitation : « La facilitation de groupe est un processus au cours duquel une personne, acceptée par tous les membres du groupe, qui est neutre sur le fond et qui n’a pas de pouvoir de décision sur le fond, clarifie et intervient pour aider un groupe à améliorer la façon dont il identifie et résout les problèmes et prend des décisions, afin d’accroître l’efficacité du groupe. » Attardons-nous quelques instants sur les termes de cette proposition. Processus renvoie à méthode, au cadre, et aussi à la dimension temporelle, à une forme de progression ou de transformation. Le fait que le facilitateur est une personne acceptée par tous les membres du groupe est un aspect fondamental de la démarche : on ne facilite pas un groupe qui n’a pas envie d’un facilitateur, qui n’en accepte pas la légitimité. Les deux fondements de cette légitimité reposent sur le fait qu’il est neutre sur le fond, qu’il ne donne pas son avis, ne participe pas aux échanges, et qu’il n’a pas de pouvoir de décision, qu’il ne peut pas influer sur les choix faits et les décisions prises par le groupe. Son intervention consiste à aider un groupe à améliorer la façon dont il identifie et résout les problèmes et prend des décisions, avec cette subtile nuance qu’il n’aide pas le groupe à identifier et résoudre des problèmes directement, mais qu’il aide le groupe à améliorer la façon dont il identifie et résout ces problèmes. La facilitation ne cherche pas à apporter des solutions d’elle-même, mais à donner au groupe les moyens de les trouver aujourd’hui et demain afin d’accroître l’efficacité du groupe durablement. La facilitation transforme bien le groupe, ce qui renvoie au processus du début de la définition.

Et plus encore…

La lecture de cette définition, son analyse mot-à-mot vous laissera peut-être une impression de manque, d’absence, d’incomplétude. Comme si cette définition n’abordait pas toute la puissance des démarches en intelligence collective. Comme si la facilitation, c’était autre chose ou plus encore que ce qu’en a dit Roger Schwartz.

C’est ce plus encore que nous vous proposons d’appréhender dans la suite de cet article, à travers trois composantes, trois propriétés, trois forces qui font qu’un atelier facilité en intelligence collective, c’est plus qu’une réunion classique et son tour de table (en U de préférence) aussi bien menée soit-elle, plus qu’un échange informel et parfaitement convivial à la machine à café, plus qu’une séance de team building où l’on découvre ses collègues bâtisseurs de cathédrales de paille et de marshmallows. La facilitation, c’est aussi…

L’art de raconter des histoires

La plupart des méthodes de facilitation proposent aux participants d’un atelier collaboratif de répondre à une série de questions en commençant toujours par un temps de réflexion personnelle afin que l’ensemble des propositions des participants puissent ensuite être exposées au groupe et prises en compte. Ce temps permet à chacun de bâtir sa réponse à la question posée, par des idées & des phrases simples, brèves, touchant à l’essentiel. Lors de l’élaboration de sa réponse à la question posée, chacun pense à la façon dont il va ensuite exposer aux autres sa réponse. Ce faisant, en plus d’élaborer sa propre réponse à la question, il va réfléchir au meilleur moyen de la transmettre aux autres, il va se demander quelle histoire il va leur raconter. Les réponses des participants ne sont jamais de simples réponses. Ce sont des histoires incarnées, riches des expériences de chacun, emplies d’une parole personnelle et authentique.

La fabrique de la mémoire

Ces histoires contées placent chaque participant d’un atelier collaboratif dans une posture d’écoute attentive. À la différence d’un exposé synthétique et froid, la personne qui écoute, captivée, l’histoire qu’on lui raconte, est amenée à vivre la situation à la place de son interlocuteur, à associer les idées exposées à des situations ou des images convoquées par le récit. Ce faisant, elle intègre davantage d’information en provenance de ses interlocuteurs, informations dont il lui sera par la suite plus facile pour elle de se souvenir pour enrichir sa compréhension globale de la problématique et prendre en compte, dans ses propres réflexions, la diversité des vécus et des points de vue. La parole de chacun imprime le ressenti du groupe, elle forge la mémoire des participants.

La construction d’un édifice

C’est parce que chacun a entendu les propositions de tous, qu’il en a intégré des éléments mémorables, qu’au moment de la synthèse du groupe, lors des phases dites de convergence, on peut retrouver dans le résultat final, des éléments des propositions de chacun : des idées, des bouts de phrases, des mots, des respirations, des émergences. C’est comme si la proposition finale du groupe était construite avec des éléments prélevés des pensées de chacun, comme autant de pièces d’un même puzzle. Cette propriété ténue, fragile, presque insaisissable, est incroyablement puissante pour renforcer le sentiment pour tous d’avoir contribué à l’objectif du groupe. Dans le résultat produit, chacun peut se retrouver et identifier son apport personnel, sa pierre à l’édifice.

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Rédigé par Luc De Bois
Après 25 ans d’expérience dans l’innovation et l’industrie informatique & télécom, ayant occupé des postes de management et de direction opérationnelle dans des grandes structures (notamment DSI chez Orange), j’ai souhaité mettre mes compétences au service des collectifs et de leur développement. J’ai construit une approche de l’intelligence collective qui place le jeu au cœur de sa pratique.