Bonjour,
Cette période estivale est, peut-être pour vous aussi, propice à la lecture, aux révisions des classiques ? Pour ma part, je me régale à partager ci-après avec vous une synthèse de passages du délicieux ouvrage, en forme de manuel parodique, à l’humour railleur : « Faites vous-même votre malheur » de Paul Watzalwick (1921-2007) psychothérapeute, théoricien de la communication, une des figures majeures de l’École de Palo Alto. Où l’on découvre en effet comment nous nous y prenons pour fabriquer solidement notre malheur dans l’art simple et quotidien de nos propos et de nos pensées les plus banals. Par conséquent, sous cette approche légère, nous entrevoyons peut-être à quel point nous tenons, à l’envers, le bonheur entre nos mains 🙂
Avertissements : dans certains passages, nous sommes bien d’accord que, les personnages sont tous de bonne foi, sains d’esprit et somme toute, comme nous tous ici, bien normaux. Pas qu’il faille considérer comme anormales les personnes hypersensibles, ou atteintes de troubles ou de déficiences ou de phobies divers, ou dites handicapées, ou autres sociopathes, mais bien au contraire, cet avertissement pour bien distinguer le fait que notre société sous certains angles est bien inadaptée pour bon nombre de personnes – et que ce qui suit ne pointe pas du doigt ces personnes-là !
En introduction, l’auteur donne la raison de cet ouvrage : en quoi la fabrique du malheur est si importante [ça commence fort, avec du lourd] ; à qui s’adresse ce que l’auteur s’apprête à divulguer de l’art en la matière de faire son malheur ; art dont les mécanismes sont par ailleurs déjà bien documentés par les spécialistes et forts cultivés par le bon sens communs [donc par nous-mêmes ici les lecteurs].
Avant tout sois loyal envers toi-même sans jamais renoncer (page 17)
Ou, comment s’y prendre pour faire de soi-même son pire ennemi ?

PixaBay : DenisDoukhan
Proverbes et autres comportements :
– Mieux vaut tenir que courir
– Qui ne risque rien n’a rien
– Imprimer toutes interactions avec force détermination dans le sens du monde tel qu’il devrait être au regard de son seul point de vue à soi [plutôt que de s’essayer à voir le monde tel qu’il est]
Dans ce sens, être loyal avec soi-même, revient à refuser systématiquement, toujours et quoi que ce soit du reste du monde. Le but sublime étant de rejeter sa propre raison !
Jouer avec le passé (page 21)
Ou, comment faire du passé une source de malheur très fiable et surabondante ?

PixaBay : EsmeWeatherwax
La glorification du passé :
– J’ai tant souffert dans ma jeunesse…
– Je l’aime si fort, si seulement elle pouvait me revenir…
– Avant c’était mieux… Ou pire… [très bonne garantie de ne prêter aucune attention au présent]
Le verre fatal :
– Je n’aurais jamais du…
– Je regretterai toute ma vie…
– Je ne pouvais pas faire autrement… c’était pas de ma faute… [donc aucune chance de se sortir de son innocence]
Le premier verre (de la journée) est celui qui enclenche la suite… on y peut rien (ni y résister)… c’est trop tard (pour s’arrêter)…
Il suffit d’insister – méthodes efficaces :
– Chercher là où l’on a rien perdu, où on voit bien qu’il n’y a rien !
– Ce qu’on a déjà fait et qui ne fonctionne pas, finira par fonctionner !
– Plus de la même chose qui produit plus du même résultat !
Il n’existe que cette solution, et le fait même qu’elle ne produise jamais le résultat escompté démontre bien le problème, ce qui justifie cette solution (dont on peut forcément encore améliorer la méthode…) !!
Russes et Américains (page 31)
Ou, comment quitter une soirée ennuyeuse : avoir vraiment mal au crâne ou feindre l’indisposition ?

PixaBay : Pexels
D’après vous, qui fait quoi ?
Une histoire de marteau (page35)
Ou, comment s’inventer des situations de toutes pièces sans en avoir conscience – et par conséquent en souffrir à loisir ?

PixaBay : stevepb
– [en marmonnant seul dans sa tête] Et si il refusait de me prêter son marteau ? D’ailleurs l’autre fois il n’avait pas l’air très sympathique. Pourtant j’ai toujours été aimable avec lui… Eh ben il a qu’à bien se le garder son marteau !!
– C’est tout de même incroyable que le feu passe toujours au rouge quand j’y arrive ! [sans vraiment avoir mesurer le nombre de feux qui passent au vert en arrivant à leur hauteur] Sans doute une organisation qui a intérêt à me ralentir dans mes projets…
– Ces marques autour de la serrure… Elles n’étaient pas là avant. Pas hier en tout cas. Mais qui a fait ça ? Quelqu’un a essayé de forcer discrètement ma serrure c’est sûr…
– Toutes ces coïncidences démontrent bien que je suis sur la bonne voie. Mon projet répond aux besoins de ce monde qui part à la dérive… D’ailleurs mes amis, ces pseudos amis finalement, qui tentent de m’en dissuader, ont tout intérêt à ce que rien ne change !
Pour une poignée de haricots (page 45)
Ou, comment mettre en fuite le fantôme de son épouse avec quelques graines ?

PixaBay : wuzefe
Un chapitre si court et si bien mitonné ne saurait être résumé ici. Donc il est à lire absolument, car si vous ne le faites pas, vous le regretterez toute votre vie, tel le spectre d’une promesse que vous n’aurez jamais honoré.
Seulement après l’avoir lu, vous saurez au moins pourquoi il faut toujours avoir quelques haricots à portée de main !
La poudre anti-éléphants (page 49)
Ou, comment créer des solutions là où il n’y a pas (encore) de problème ? Et vice et versa.

PixaBay : razkoko3
Ce chapitre marque le passage des pratiques de fabrication aux pratiques d’évitement des difficultés [toujours afin de permettre leur perpétuation].
Pour éviter de rencontrer des éléphants, répandez dans votre environnement cette poudre mystérieuse. Si on vous dit qu’il n’y a jamais eu d’éléphant dans cette rue, ni chez vous, ni au supermarché, vous pourrez rassurer votre interlocuteur sur l’efficacité de cette poudre.
Bon, avec un éléphant, l’exemple est un peu gros. Qu’en est-il des bactéries sur les poignées de portes, des voleurs à la tire ? Mieux vaut être vigilant, que dire, s’en prémunir, ou mieux, rester bien en sécurité chez soi. Quoi que, les couteaux aiguisés, le sol glissant de la salle de bain, la gazinière…
Ce qui fait que le jour où ça arrive, c’est bien pour cela qu’il fallait éviter de… et heureusement que vous vous en étiez prémuni, parce que sinon ça aurait été encore pire !
Je l’avais bien dit ! (page 55)
Ou, comment une idée peut produire sa propre réalité ?

PixaBay : Gruendercoach
L’histoire du risque de chute inscrit dans l’horoscope, vous connaissez la chute n’est-ce pas ? Mais seriez-vous tombez si vous n’aviez pas lu l’horriblescope ? Ha ! Vous seriez-vous cramponné aussi fort à toutes les rampes d’escaliers ? Auriez-vous marché toute la sainte journée comme sur une plaque de verglas ? Sans lever la tête ? Et sans voir la barre de l’échafaudage que vous avez frappé si fort avec votre tête que vous en êtes tombé à la renverse ?
Comme quoi à force d’éviter, force est de constater.
Que chuchotent-ils dans mon dos ? Et d’observer tous les détails de leurs comportements comme autant de faits et de preuves de leur complot contre moi…
Et oui, même quand c’est inconscient ça compte, la prophétie des conséquences par l’évitement de leurs supposées causes comme processus de leurs réalisations. Et surtout, l’évitement d’aller se renseigner auprès des conspirateurs !
Gardez-vous d’arriver (page 61)
Ou, comment s’assurer de ne point trop en faire au risque de réussir, au risque de faire de cette entreprise un succès ?

PixaBay : PublicCo
Il y a sans doute là un détournement de l’aphorisme « le chemin est plus important que le but ». D’autant plus qu’on sait bien que plus le but est sublime, plus l’on déchante une fois atteint ! Sinon, pourquoi recommencerait-on à se lancer des défis de plus en plus [mettez ici ce que vous voulez] ?
Mais nous autres bien éclairés, nous ne tombons pas dans ces ornières-là, nous savons bien que chaque voyage est fait de petits pas qui se succèdent.
Il est aussi question dans ce chapitre, de la vengeance. Un sacré moteur pour éviter de trouver un autre chemin que la rancœur, et pire encore… Mais un moteur qui bien souvent paraît-il, se noie lorsque la possibilité s’offre à nous de l’assouvir. Pensons-y.
Si tu m’aimais vraiment, tu aimerais l’ail (page 69)
Ou, comment – grâce à notre langage unique, mais humain, qui ne permet pas de distinguer, objectivement si, mais subjectivement moins, un objet de sa relation avec les autres objets – se retrouver à manger des céréales tous les petits déjeuners du reste de sa vie, alors qu’on déteste ça ?

PixaBay : stevepb
Exemple d’objet et de relation où « cela » ne pose pas de grande difficulté existentielle : cette pomme est rouge. Jusque là tout va bien. Pour la pomme. Et pour la couleur rouge. L’objet pomme a priori en paix avec elle-même, ne voit pas d’inconvénient à être mise en relation avec sa propriété rouge, et réciproquement.
Poussons le bouchon : cette pomme-ci est plus grosse que celle-là. Ha. Là il s’agit d’une déclaration qui concerne la relation entre deux pommes. Cette déclaration n’aurait pas de sens sans une deuxième pomme. « Plus grosse » qualifie la relation entre les deux pommes.
Allez, faisons péter le champagne : « Chéri, comment trouves-tu cette soupe faite pour toi avec tout mon amour à partir de cette toute nouvelle recette à base de salsifis [que par ailleurs tu détestes] ? ». Là, on voit bien que la réponse va mettre une tension dans la relation entre les « objets », sous forme de défi pour certains à les distinguer dans l’expression. Autant pour celui qui formulera la réponse que pour celle qui l’entendra…
Si ce qui est sous-entendu ci-dessus n’est pas très clair, c’est sans doute du à l’effet synthétique de cette article. Alors je vous invite pages 70 et 71, à savourer un des plus grand met de la table de deux. Vous ne saurez vous arrêter dans la démultiplication des pages suivantes !
Sois spontané ! (page 81)
Ou, comment réussir une société de l’apologie du burn-out ?

PixaBay : TanteLoe
Et autres dans le genre : « enfermer pour se faire aimer » ; « tes devoirs devraient t’amuser » ; « si tu es fatigué c’est que tu n’es pas heureux » ; « file dans ta chambre et n’en reviens qu’avec le sourire ! » ; etc.
Il suffit qu’avec un peu de bon sens, les personnes accaparées par ces injonctions paradoxales, se fassent dire que toute personne de « bonne volonté » saurait se sortir de se pétrin psychologique… pour comprendre l’ampleur de l’entreprise des sourires jaunes et autres fabriques de dépressions.
Ce chapitre aurait pu être drôle. Mais non. Enfin, je ne trouve pas.
Ah bon ? Vous croyez que je vais m’en sortir ? Vraiment ? C’est bizarre, j’ai l’impression que ça empire déjà ? Ah bon, ça ne fait que passer ? Ah bon.
Ah, en fait il faut que j’apprenne à m’aimer ? Ah oui, dit comme ça…
Pourquoi m’aimerait-on ? (page 89)
Ou, comment aimer son prochain comme soi-même ?

PixaBay : burntpoet
« Il ne saurait être question pour moi d’appartenir à un club qui s’aviserait de m’accepter comme membre. » –– Marx Groucho
Cela semble en effet compliqué d’être aimé pour ce que soi-même on aime de soi. Pas vous ?
Non, franchement, mieux vaut soupçonner ceux qui nous apprécient pour bien se mettre à l’abri de ce qu’ils pensent vraiment. Ou mieux, pour se protéger de se rendre compte de pourquoi elles nous apprécient ! Alors ceux qui nous aiment, n’en parlons pas…
Et que dire d’un de ces autres magnifiques exemples ayants droit au chapitre : « Si vous êtes à moi, je perds en vous possédant celle que j’honore » –– Allez, déballez votre Culture ! de qui est cette citation ? Si vous ne l’avez pas c’est pas grave, je vous aime quand même ! M’aime moi je ne le savais m’aime pas.
C’est ainsi que l’art de se fabriquer du malheur à partir de la mésestime de soi déploie ici une potentialité faramineuse. Les « histoires d’amour »… de l’enfance à l’âge de la retraite et jusqu’à bien après. Tant et si bien que l’auteur nous indique des références de haut vol pour mieux en atteindre les sommets : Ulysse et les Sirènes, de Jo Elster ; Nœuds, de Ronald Laing ; etc.
Allez ! Il reste vingt pages pour découvrir encore trois splendides techniques avec lesquels nos contemporains (pas nous évidemment) font eux-mêmes leur malheur : « Les pièges de l’altruisme » ; « Ces fous d’étrangers » ; « La vie est un jeu ».
Et l’épilogue est juste succulent !
Et surtout, vivez heureux :-))
Bien à vous,
Franck