Changer le monde : entre révolution des paradigmes et résistances : le syndrome de Bernard Lhermite

Forked roads in green forest

Nous vivons un moment de basculement. Tout le monde en parle. Un entre-deux inconfortable. Pourquoi est-ce si long et compliqué ? Une tension palpable par beaucoup de mes clients. Un accouchement difficile aux contractions douloureuses. Et comme souvent face à l’inconfort, surgit une tentation de repli vers des certitudes anciennes, des identités figées, ou de colère exprimée parfois de façon violente ou à travers des votes politiques chaotiques.

Quels sont ces paradigmes « menacés » qui résistent?

Un paradigme est un ensemble de croyances qui structurent la façon dont une société comprend le monde et fonctionne. Dans notre culture occidentale, les paradigmes anciens sont à la fois remis en question et à l’origine de résistances. Je pense au patriarcat, qui continue d’imprégner nos rapports sociaux et familiaux ; au matérialisme, qui fait de la possession un horizon de sens ; la performance, qui prone l’efficacité au dépens du bien être des sujets au travail ; à notre relation à la nature, longtemps dominée par le fantasme de contrôle ; et au rationalisme, qui rejette toute connaissance non objectivable.

Changer ces fondations n’est pas un long fleuve tranquille. On n’a jamais autant vu de mouvements contraires coexister. Probable signe d’une étape de résistance.

« Nous ne sommes pas à la fin du monde, mais à la fin d’un monde. Et plusieurs mondes coexistent déjà. »

Prenons l’exemple des mouvements pour l’égalité de genre : chaque avancée se heurte à du cynisme. Ne parlons pas du mouvement LGBT. C’est la même chose avec notre rapport à la nature : on parle de durabilité, mais les habitudes de surconsommation ont la vie dure.

Aujourd’hui « être contre » fait le buzz!

Les étapes du syndrome du « Bernard-l’Hermite » :

Le syndrome du Bernard-l’Hermite, tel que décrit par François P. Mathijsen[1], illustre quatre grandes étapes par lesquelles passe un individu (ou un collectif) confronté à une expérience qui remet en cause ses habitudes et repères fondamentaux :

  1. L’effraction: un événement vient ébranler la structure de référence habituelle — une crise, un bouleversement émotionnel, une révélation intérieure.
  2. La mise en crise du paradigme: les croyances anciennes vacillent. L’individu (ou le collectif) doute, cherche, questionne. Ce qui tenait jusque-là semble inadéquat pour comprendre ce qu’il vit.
  3. La lutte: un combat intérieur s’engage entre l’ancien et le nouveau. L’identité se fragmente, des tensions se multiplient. Ce moment est souvent celui de l’isolement, de la confusion, parfois de la souffrance voir de la violence.
  4. La réorganisation: une nouvelle cohérence finit par émerger. L’individu  (le collectif) réinterprète le réel à partir d’un autre cadre. Un nouveau paradigme est intégré, mais il est encore fragile.

Ce modèle met en lumière les turbulences intérieures provoquées par un changement de vision du monde. Comme le dit Renard[2]« la réduction rationaliste et l’expansion merveilleuse apparaissent comme deux processus normaux du psychisme humain ».

Aujourd’hui, nous sommes en pleine rupture cognitive, un moment inconfortable, mais nécessaire pour construire de nouveaux repères.

Une nouvelle compétence à développer : la reste-habilité (3)

Rester dans la tension est pour moi un acte de maturité. Et c’est en soi un changement de paradigme dans un monde forgé à la logique problème/solution

C’est précisément dans cette tension qu’émerge la possibilité d’un autre rapport à soi et au réel. Accepter de demeurer dans cet entre-deux, sans céder au désespoir ni à l’impatience, est un acte de maturité profonde. Cette tension n’est pas une anomalie à corriger : elle est le signe même du vivant en mutation.

Quelle place pour l’accompagnement de ce mouvement ?

Dans ce contexte, l’accompagnement, qu’il soit individuel ou collectif, n’a jamais eu autant de sens. Non pour offrir des solutions toutes faites, ni pour accélérer la traversée, mais pour soutenir l’émergence d’une posture plus ancrée, plus consciente, capable de faire place à l’inconnu. L’accompagnant devient alors moins un expert qu’un gardien du seuil, capable de soutenir l’inconfort, d’accueillir les doutes, et de révéler, en filigrane, les nouvelles voies qui cherchent à naître.

Habiter ce chaos temporaire, c’est oser ne pas savoir. C’est écouter ce qui se défait sans chercher à le retenir. C’est faire confiance à la vie en mouvement, même quand elle ne répond plus aux grilles de lecture du passé.

[1] F.P Mathijsen, Psychologue belge, spécialisé dans les expériences exceptionnelles, le paranormal, et leur impact sur la santé mentale. Un article publié dans Mental Health, Religion & Culture (2015) où F. P. Mathijsen propose un modèle baptisé le « syndrome Bernard‑l’hermite », qui explore les étapes cognitivo‑émotionnelles menant à un changement de vision du monde

[2] Jean Bruno RENARD, Le merveilleux. Sociologie de l’extraordinaire (CNRS Éditions 2011)

(3) : Expression empruntée à Issa Padovani, conférencière et enseignante Suisse de Communication Non violente entre autre

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