Faciliter l’émergence : entre Graal et petites recettes entre amis…

Nos métiers du coaching collectif et de la facilitation des intelligences collectives ont ceci de commun qu’ils se donnent pour tâche de favoriser l’émergence au sein d’un groupe ou d’une équipe. Oui mais quelle émergence, pour quoi faire et comment ? Petite revue simplifiée des grandes familles en présence.

La facilitation de l’émergence est un Graal pour celui qui se cantonne dans le champ de la réflexion théorique. Cela peut aussi devenir un échange de recettes entre praticiens quand les expériences ont pris suffisamment d’épaisseur. Tous les professionnels qui accompagnent les groupes ont leurs démarches favorites. Je propose ici quelques grandes familles : celles que je préfère, celles que j’ai largement expérimentées, celles qui fonctionnent bien. Ma liste n’est pourtant pas exhaustive.

L’ « appréciative » vs la « démarche ingénieur »
La « démarche ingénieur » ? En cas de panne, je cherche l’origine. Je comprends l’incident, je répare. Et si possible je transforme le dispositif pour éviter que la panne ne se reproduise. Et cette démarche ne favorise guère l’émergence. Lorsque j’emprunte la démarche appréciative, je ne me concentre pas sur la panne. Je recherche au contraire ce qui fonctionne particulièrement bien. Et je mets en place un dispositif pour l’amplifier.  Quand j’accompagne un groupe qui a besoin de produire de nouvelles solutions face à des difficultés, de laisser émerger de nouvelles pistes, je peux le guider en mode appréciatif. Je laisse du temps pour apprécier les forces et les processus qui ont été porteurs. Et l’émergence au présent s’appuie sur ces processus passés.

Le U n’est pas un V arrondi
La théorie U proposée par Otto Scharmer est un formidable outil au service de l’émergence. En renonçant de passer du point A au point B en empruntant le segment le plus direct, je me donne la possibilité de laisser l’émergence faire son œuvre. Le processus classique qui invite l’émergence en pratiquant le double mouvement « divergence » puis « convergence » est une démarche en losange ou « V renversé » puis « V » comme un entonnoir. La pratique du U  ne consiste pas à « arrondir le V » mais bien à « descendre » et contacter l’émergence en pleine présence dans le « fond du U » en passant par une co-intention et un co-ressenti pendant la descente. Puis récolter et transformer cette émergence pendant la « remontée » en prototypant la nouveauté et l’implémentant dans les systèmes à l’échelle 1. Si le vocabulaire peut paraître ésotérique ici, les résultats de ce processus sont à chaque fois surprenants d’efficience opérationnelle.

La narrative n’est pas du story telling
Les pratiques narratives proposées par Michael White et David Epston peuvent inspirer des processus d’émergence de groupe tout à fait étonnants. Les pratiques narratives sont à l’exact opposé de la démarche de story telling avec laquelle elles sont parfois confondues. Alors que le story telling consiste à promouvoir une marque ou un produit grâce à un récit de création, un univers spécifique et une histoire au moins en partie fictionnée, les pratiques narratives permettent l’émergence de nouveaux récits en parcourant des allers-retours entre les références identitaires (réelles) du groupe et ses capacités à les porter en actions opérationnelles. En acceptant de confronter ses références puis de redevenir auteur, le groupe produit des récits alternatifs. Ces émergences peuvent encore être enrichies en invitant des témoins extérieurs aux sessions de travail.

Les bouts de ficelles et selles de cheval
Quand deux professionnels échangent à bâtons rompus sur comment ils s’y sont pris pour faciliter l’émergence, il n’est pas rare d’entendre parler des recours au brainstorming – rappelons que la méthode est élaborée par Osborn dans les années 1950…-, ou des variantes avec les brainwriting et autres portraits chinois. Et pourtant nous voyons ici la richesse et la diversité des démarches possibles.

D’autres processus mériteraient sans doute de figurer ici. Dans cet inventaire à la Prévert il nous manque l’immense potentiel des constellations,  des cercles de paroles et … « plusieurs ratons laveurs ». L’émergence semble d’autant plus puissante quand elle passe par l’expérience -versus la démarche hypothéticodéductive-. Et les processus sont remarquablement efficaces quand l’individu ou le groupe est déplacé par hasard ou volontairement hors de son lieu habituel et/ou loin de sa pratique usuelle – Arrêtez les brainstormings autour des tables de réunion s’il vous plaît ! -.

L’Eureka d’Archimède – même si l’anecdote a peu de chance d’être avérée – n’est rien d’autre que cela. L’histoire ne raconte pas qu’il a choisi d’aller prendre les eaux dans son baquet pour vérifier son théorème. Sérendipité qu’on vont dit ! Il voulait juste se savonner.

Provoquer la sérendipité !
Et si la réponse était là : faire autre chose, choisir ou produire une image, marcher sur un chemin, saisir une ombre, enlacer un arbre, s’asseoir sur un coussin et respirer autrement, modeler de la terre, danser… et observer ce qui se passe. Exercer son attention, la perdre et … attraper la piste ou la réponse qui se présente là, juste là.

On essaye ensemble ?

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